Ghislaine Regnongo : « Le véritable problème du Gabon est celui du respect de l’humain »


Crédit photo : © 2019 D.R.

Ghislaine Regnongo, Juriste, fondatrice et présidente de l’ONG, Actions Gabon prendra part à Paris, le 07 décembre prochain à la 1ère édition du forum « Le Gabon face aux défis d’avenir ». Gabon Matin, du groupe Binto Média, partenaire de l’événement a rencontré la militante à Paris qui a scruté la crise politique gabonaise suite à l’élection contestée d’Ali Bongo en 2016. Sans manquer de s’exprimer sur des sujets épineux comme l’éducation, la culture, les prisonniers politiques, les cas retentissants de pédophilie (l’affaire Wally). Lisez dans les lignes qui suivent l’intégralité de cette interview.

Gabon Matin. Vous vous êtes révélée au grand public lors de l’élection présidentielle 2016 et lors de la crise post-électorale par votre engagement citoyen et politique à la restauration de la vérité des urnes. Présentez-vous davantage à nos lecteurs. Trois ans plus tard quelle lecture faites-vous de cette crise politique qui perdure à ce jour au Gabon ?

Regnongo Ghislaine (GR) : Je suis Madame Regnongo Ghislaine, mariée, mère de 3 enfants, militante. Juriste de l’école française, qui a connu une expérience américaine à l’occasion d’un séjour structurant. Actuellement en Fonction dans une grande société Internationale, Franco-Américaine, basée à Paris, après une expérience de diplomate à Paris et à Libreville. Respectivement à l’Ambassade du Gabon en France et au Ministère des Affaires Etrangères au Gabon. Que dire encore pour me présenter ? Je suis passionnée du Gabon.

Mais ce n’est pas parce que le Gabon est un Baobab que l’on ne va pas faire attention à la fragilité de ses branches. On n’a pas assez fait attention aux branches du Gabon".

Le Gabon est une curiosité de l’Histoire. C’est un petit pays, on le réalise quand on l’observe de l’extérieur. Mais ce pays est bien ancré au sol, bien implanté, enraciné. C’est pour cela que le vent peut secouer le tronc du Baobab et ses branches, mais le Gabon ne peut pas partir au vent. Mais ce n’est pas parce que le Gabon est un Baobab que l’on ne va pas faire attention à la fragilité de ses branches. On n’a pas assez fait attention aux branches du Gabon.

Tous les pays développés ont connu leur période sombre. Et ce que nous savons de l’histoire des grandes nations devrait nous permettre d’éviter certaines souffrances. Nous devrions bénéficier de leur expérience pour gravir plus rapidement les marches et construire la société démocratique gabonaise de demain".

C’est pour cela que le Gabon aujourd’hui est dans la douleur. Des plaies sont ouvertes, les souffrances sont multiples. Le dialogue complexe. Le vent, ce mouvement naturel qui a voulu apporter du bonheur au Gabon a vu son élan stoppé... trois ans plus tard tous les observateurs s’accordent avec moi : notre beau pays est certes debout, mais gravement malade.

Tous les pays développés ont connu leur période sombre. Et ce que nous savons de l’histoire des grandes nations devrait nous permettre d’éviter certaines souffrances. Nous devrions bénéficier de leur expérience pour gravir plus rapidement les marches et construire la société démocratique gabonaise de demain. Malheureusement, tout porte à croire qu’au Gabon il y a encore des Bastilles à prendre.

Sommes-nous au XVII ème siècle ? Pourquoi les autorités gabonaises aujourd’hui ne veulent pas tirer les leçons de la souffrance que les autres peuples ont connue ? Pourquoi faudrait-il passer toutes ces étapes encore ? Nous sommes à l’ère de l’informatique, il n’y a pas d’université de technologie de pointe à Abidjan mais les hackers ivoiriens sont de renommés internationales, ils ne sont pas passés par le minitel pour autant. On pourrait citer dans le même sens le Nigéria.

Gabon Matin. En tant militante pour les droits de l’homme de par l’association que vous présidez Actions Gabon, quelle analyse faites-vous sur les violations des libertés publiques, d’expression et d’opinions qui s’illustrent par la présence des prisonniers politiques (Bertrand Zibi, Oyougou, Privat Ngomo, Crépin, Landry Washington...) toujours détenus pour leurs opinions politiques ? Quelles solutions préconisez-vous à la sortie de crise politique et sociale qui perdure toujours à ce jour ? Comme au Rwanda, quel est le rôle que la Femme la gabonaise doit jouer ?

GR : La solution est toute vue. Il suffit de comprendre que le Gabon n’est pas en dehors du monde, et les solutions aux problèmes posés à toute société, pour améliorer le cadre de vie de ses citoyens sont étudiées par tous. Les Gabonais qui dirigent le Gabon se comportent comme si nul ne les voyait. Comme s’il n’y avait qu’eux et les gabonais. Or nous sommes dans un monde d’observation et de digitalisation des interactions.

Le Rwanda a tout compris par le biais « du devoir de mémoire » et de la « mémoire collective », ".

Quand nous sommes sages nous apprenons à écouter la colère du vent, le cri des oiseaux, le frottement des feuilles d’arbres. Parce que dans la forêt il est connu, comme dit un vieux proverbe africain : « Quand les craquements des mains ne produisent plus la belle mélodie dansante pour inspirer les pas de danse, on arrête tout et on recommence ».

Les Gabonais qui dirigent le Gabon se comportent comme si nul ne les voyait. Comme s’il n’y avait qu’eux et les gabonais. Or nous sommes dans un monde d’observation et de digitalisation des interactions".

C’est pourquoi la sagesse africaine a toujours conseillé dans tous nos villages le dialogue à travers notre traditionnelle et moderne Palabre, ancrée dans nos mœurs. Et à ce jour, je ne comprends pas pourquoi le véritable dialogue, que devrait inspirer la femme gabonaise n’a toujours pas eu lieu. Le Rwanda a tout compris par le biais « du devoir de mémoire » et de la « mémoire collective », concepts théorisés par le sociologue français de l’école durkheimienne né à Reims, ma ville estudiantine.

La sagesse africaine a toujours conseillé dans tous nos villages le dialogue à travers notre traditionnelle et moderne Palabre, ancrée dans nos mœurs. Et à ce jour, je ne comprends pas pourquoi le véritable dialogue, que devrait inspirer la femme gabonaise n’a toujours pas eu lieu".

Actualité oblige. Wally et tous les cas de pédophilie ont été au cœur de l’actualité gabonaise. Vous qui avez à cœur les questions d’éducation et de jeunesse, quelle lecture faites-vous de ce phénomène au Gabon et en Afrique en général ?

Le Gabon malgré ses difficultés et ses pesanteurs est un Etat de droit....Le Gabonais semble avoir tourné le dos à sa tradition et à sa véritable culture. ".

GR : Je ne vais pas oublier que je suis juriste. Le Gabon malgré ses difficultés et ses pesanteurs est un Etat de droit. Je parie sur la sérénité des juges, l’efficacité et le professionnalisme des enquêteurs et la perspicacité de l’opinion publique. Le véritable problème du Gabon est celui du respect de l’humain. Le Gabonais semble avoir tourné le dos à sa Tradition et à sa véritable Culture.

Dans ma tendre enfance, l’enfant gabonais était dans l’adoration collective. Il est aujourd’hui objet de sacrifices, objet sexuel, quand il n’est pas livré à lui-même voire abandonné, parce qu’il n’y a pas suffisamment d’infrastructures scolaires et culturelles pour leur garantir une instruction et une éducation. Le sceau de la République gabonaise, la maternité allaitante, en est le fort symbole.

Quels sont selon vous les fondamentaux d’un modèle de l’éducation pour préserver l’équilibre de la jeunesse gabonaise et africaine ?

Le modèle gabonais de l’éducation est faussé à la base. On ne peut pas construire ce qui est durable sur des bases qui ne sont pas solides. Il y a un Ministère de la culture et pas de Ministère de la tradition.

En échangeant avec un aîné dont je vais taire le nom, son diagnostic était strict : le système africain est perturbé. Ce qui est vrai pour le Gabon est vrai pour d’autres pays, malheureusement. Pour assurer une éducation normale à une jeunesse il faut que le système de valeurs ait de solides repères.

Que peuvent être les repères pour le Gabon en particulier et l’Afrique en général, si ce n’est une véritable connaissance de ce qui est traditionnel et de ce qui est culturel. Distinguer la tradition de la culture. Malheureusement même la véritable définition de ces 2 concepts est inconnue des instructeurs dans notre système. Et vous pouvez le remarquer dans les rapports et ouvrages ; les auteurs utilisent de manière interchangeable ces deux concepts.

Que peuvent être les repères pour le Gabon en particulier et l’Afrique en général, si ce n’est une véritable connaissance de ce qui est traditionnel et de ce qui est culturel.

Le modèle gabonais de l’éducation est faussé à la base. On ne peut pas construire ce qui est durable sur des bases qui ne sont pas solides. Il y a un Ministère de la culture et pas de Ministère de la tradition. Mais les gabonais vivent plus de la tradition que de la culture. Qu’est-ce que la tradition ? Qu’est-ce que la culture ? Je remercie la rédaction d’Info241 pour l’intérêt prononcé que vous portez à notre chère Patrie le Gabon.

Gabon Matin