Alors que les médias font état de la poursuite des combats vendredi à Khartoum et surtout dans la région du Darfour, malgré une prolongation de la trêve conclue entre l’armée et les paramilitaires, le Bureau des droits de l’homme de l’ONU s’inquiète du sort des civils piégés par les hostilités.
Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme ( HCDH ) a appelé vendredi les deux parties aux combats au Soudan à « mettre fin immédiatement aux hostilités » et à « cesser les hostilités dans les zones résidentielles et le ciblage de la population civile et des infrastructures ».
« Deux semaines après le début des combats entre les Forces de soutien rapide et les Forces armées soudanaises, qui ont plongé la population civile dans la peur, la privation, le traumatisme et la souffrance, la situation des droits de l’homme au Soudan continue de se détériorer de manière dramatique », a déclaré lors d’un point de presse régulier de l’ONU à Genève, Ravina Shamdasani, porte-parole du H CDH .
Des centaines de milliers de personnes ont fui leurs maisons pour trouver des endroits plus sûrs, à n’importe quel prix, et ont été victimes d’abus en cours de route. Mais des milliers de personnes restent piégées dans des zones résidentielles où des combats ont eu lieu.
Affrontements ethniques meurtriers à El Geneina et au Darfour occidental
« Les populations subissent ainsi des frappes aériennes, des bombardements et l’utilisation d’armes lourdes, essayant de profiter de toute période de calme pour atteindre des endroits relativement sûrs », a décrit Mme Shamdasani.
Selon les services du Haut-Commissaire Volker Türk, les populations continuent également d’être forcées de quitter leurs maisons par les forces de sécurité. Elles subissent ainsi des pillages, des extorsions, de graves pénuries de nourriture, d’eau, d’électricité, de carburant, et un accès limité aux soins de santé et à l’argent liquide en raison de la fermeture des banques, ainsi que des communications limitées.
Sur le plan sécuritaire, bien qu’un cessez-le-feu ait permis une certaine accalmie, des affrontements ont continué d’être signalés dans les zones densément peuplées de Khartoum, Bahri, Omdurman et dans les villes du Darfour et du Nord-Kordofan.
Le Bureau des droits de l’homme de l’ONU est préoccupé par le risque sérieux d’escalade de la violence dans le Darfour occidental, les hostilités entre les paramilitaires et les forces armées soudanaises ayant déclenché des violences intercommunautaires. À El Geneina, au Darfour occidental, des « affrontements ethniques meurtriers » ont été signalés, et l’on estime à 96 le nombre de personnes tuées depuis le 24 avril.
L’ONU s’inquiète des évasions dans certaines prisons
Pour les services du Haut-Commissaire Türk, il est très inquiétant de constater que des détenus ont été libérés ou se sont échappés d’un certain nombre de prisons. Une façon de souligner leur vive préoccupation par la perspective de nouvelles violences, dans un climat d’impunité généralisée.
« Nous appelons les parties à mettre fin immédiatement aux hostilités, et en particulier à cesser les hostilités dans les zones résidentielles et le ciblage de la population et des infrastructures civiles », a conclu Mme Shamdasani, relevant que la protection des civils doit être primordiale et le droit international humanitaire l’exige.
Alors que les hostilités s’intensifient au Soudan, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés ( HCR ) met en garde, pour sa part, contre l’impact dévastateur du conflit sur la population civile, y compris les réfugiés et les personnes déplacées internes.
Les violents combats et l’insécurité ont poussé des dizaines de milliers de personnes à fuir en quête de sécurité. Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) est particulièrement préoccupé par la situation dans la région du Darfour, où, parmi une myriade de problèmes de protection urgents, la situation humanitaire reste extrêmement grave.
Des milliers de personnes se réfugient dans des camps de l’État du Nil blanc
« Un certain nombre de sites accueillant des personnes déplacées à l’intérieur du pays ont été réduits en cendres, tandis que des maisons civiles et des locaux humanitaires sont touchés par des balles », a déclaré de Port Soudan, Axel Bisshop, Représentant du HCR au Soudan.
Le Darfour étant l’une des régions les plus touchées par la violence et les niveaux élevés de criminalité, même avant la situation actuelle, le HCR craint que les hostilités actuelles n’alimentent les tensions ethniques et intercommunautaires préexistantes au sujet des terres et de l’accès aux ressources et ne provoquent des déplacements plus importants. « Cela aurait des conséquences désastreuses pour une région déjà confrontée à d’importants déplacements », a ajouté M. Bisshop.
Par ailleurs, les camps de réfugiés de Gedaref, Kassala, Nil Blanc et Nil Bleu, ainsi que les camps de réfugiés du Kordofan Sud et Ouest sont jusqu’à présent relativement calmes et les services essentiels fonctionnent, notamment les services de santé et d’approvisionnement en eau.
« Nous avons reçu des informations selon lesquelles environ 33.000 personnes ont fui Khartoum pour se réfugier dans les camps de réfugiés de l’État du Nil blanc, 2.000 dans les camps de Gedaref et 5.000 à Kassala depuis que la crise a commencé à se développer il y a deux semaines, fuyant une fois de plus pour sauver leur vie », a détaillé M. Bisshop.
L’accès aux communautés déplacées et le partage d’informations avec elles continuent d’être gravement entravés dans certains endroits. Le manque d’électricité, les pénuries de carburant et la mauvaise connectivité limitent la capacité de chacun à communiquer efficacement.
Des opérations humanitaires pratiquement impossibles
De plus, en raison de la situation sécuritaire qui prévaut, le HCR a été contraint d’interrompre temporairement la plupart de ses activités de secours à Khartoum, au Darfour et au Nord-Kordofan, où il est devenu trop dangereux d’opérer. Selon l’agence onusienne, la suspension de certains programmes humanitaires est susceptible d’exacerber les risques de protection auxquels sont confrontées les personnes qui dépendent de l’aide humanitaire pour survivre.
Tous les bureaux ont réussi à rester en contact avec certains chefs de communautés de réfugiés et membres de comités de réfugiés, et nous fournissons aux réfugiés avec lesquels nous sommes en contact des conseils et un soutien du mieux que nous pouvons.
« Nous travaillons en étroite collaboration avec le PAM (Programme alimentaire mondial) pour voir comment fournir la nourriture qui se trouve dans le pays, et avec les autres agences des Nations Unies, telles que l’UNICEF, et les ONG pour voir comment fournir d’autres formes d’assistance de base », a fait valoir M. Bisshop.
D’autant qu’il est extrêmement préoccupant que l’aide dont on a désespérément besoin - en particulier pour les personnes nouvellement déplacées - ne puisse pas être fournie. « Des civils innocents, notamment des femmes et des enfants, continueront à souffrir », a-t-il insisté.
Du côté du Programme alimentaire mondial, l’on s’inquiète du sort des millions de personnes qui risquent de souffrir de la faim. Alors que les combats font rage dans certaines parties du Soudan, les opérations humanitaires dans le pays sont pratiquement impossibles, à un moment où un tiers du pays a désespérément besoin d’aide.
Des millions de personnes risquent de souffrir de la faim
« Nous entendons parler de graves pénuries de nourriture, d’eau, de carburant, de médicaments et d’accès aux soins de santé », a affirmé Brenda Kariuki, porte-parole du Bureau régional du PAM en Afrique de l’Est, relevant que le PAM s’engage pleinement à reprendre ses opérations dès que la situation sécuritaire le permettra.
C’est dans ce contexte que l’insécurité et la récente crise au Soudan ont contraint le PAM à suspendre temporairement ses opérations dans ce pays où environ un tiers de la population était déjà confronté à la faim avant que le conflit n’éclate le 15 avril. Jusqu’à 4.000 tonnes de nourriture destinée aux personnes vulnérables ont été pillées et au moins 10 véhicules et 6 camions transportant de la nourriture ont été volés.
« C’est inacceptable et cela prive d’aide humanitaire les Soudanais et les réfugiés les plus vulnérables qui ont désespérément besoin de cette nourriture vitale », a regretté Mme Kariuki. « Avec nos opérations aériennes clouées au sol, nous constatons que les mouvements de l’ensemble de la communauté humanitaire sont gravement perturbés et qu’il est donc impossible d’atteindre les communautés que nous servons ».
Plus largement, le PAM estime que ce conflit laissera une cicatrice dans le cœur et l’esprit du peuple soudanais et poussera des millions de personnes à souffrir de la faim. « Dans un pays de la taille de l’Espagne, plus d’un tiers de la population luttait déjà pour mettre de la nourriture sur la table chaque jour », a détaillé la porte-parole du PAM.
Sur le terrain, le transfert temporaire du personnel à l’intérieur et à l’extérieur du Soudan vers des régions plus sûres est en cours. L’agence onusienne appelle toutes les parties au conflit à prendre des mesures immédiates pour faire cesser les combats et permettre aux humanitaires de remplir leur mandat en toute sécurité, c’est-à-dire de venir en aide à plus de 7,6 millions de personnes que le PAM avait prévu d’atteindre en 2023, dans un pays où « les taux d’insécurité alimentaire sont parmi les plus élevés au monde ».